مايو 04, 2024

Nous militons pour un Etat laïc, multiconfessionnel et démocratique

LaicHaytham Manna, un des responsables du Comité de coordination nationale pour un changement démocratique en Syrie, qui regroupe 9 partis politiques laïcs de gauche, développe, pour El Watan, les préconisations de sa formation pour une sortie de crise politique et pacifique en Syrie.

-Le Comité de coordination nationale pour un changement démocratique en Syrie, dont vous êtes un des dirigeants, n’est pas membre de la Coalition nationale syrienne. Pour quelles raisons ?

En juin 2011, 16 partis politiques de l’opposition et 200 intellectuels, artistes, se sont réunis à Hargoun, dans la banlieue de Damas ; ils ont déclaré la création du Comité de coordination nationale pour le changement démocratique avec un programme basé essentiellement sur la nécessité d’en finir avec le régime dictatorial et le système de corruption qu’il a établi. Après cet événement strictement syrien, sans l’intervention de quiconque et en coordination avec les comités populaires de lutte pacifiste sur place, la Turquie et les Etats-Unis préparaient ce qui est devenu le Conseil national syrien. Barzani (Massoud Barzani, président du Parti démocratique kurde irakien, ndlr) est intervenu pour demander à quelques partis kurdes qui ont participé à la réunion de Hargoun de se retirer pour constituer le Conseil national kurde.

Bien que le Conseil national syrien était financé par quatre organisations américaines connues pour leurs liens avec le département d’Etat, nous avons dit que nous étions prêts à discuter d’un projet commun fondé sur les trois «non» annoncés à Hargoun : non au confessionnalisme, non à la violence et non à l’intervention militaire étrangère d’où qu’elle vienne. Nous sommes allés à deux délégations, notre comité et le Conseil national, au Caire, et nous avons négocié pendant 57 jours. Le 30 décembre 2011, nous sommes parvenus à un accord que j’ai moi-même signé avec Bourhane Ghalioune, président du Conseil national syrien.

Cet accord stipule le refus d’une intervention militaire étrangère et appelle à l’établissement d’un Etat civil, démocratique, pluraliste, basé sur l’égalité de la citoyenneté de tous les Syriens. La Turquie et le Qatar sont intervenus immédiatement pour demander à Bourhane Ghalioune de retirer sa signature. Douze heures après la signature de cet accord, le Conseil national syrien s’est retiré de tout engagement.

-Qu’en avez-vous déduit ?

Nous avons compris, depuis, que la décision du CNS n’est pas dans les mains de Syriens. Près de deux mois ont été perdus. Les dirigeants du CNS n’ont pas demandé à revoir le texte, ils ont tout simplement annulé tout contact avec le Comité national de coordination avec la promesse de la France, du Qatar et de la Turquie de les présenter aux yeux du monde comme les représentants uniques du peuple syrien. Ils ont tout essayé pour reprendre le modèle libyen. Nous, nous avons dit que copier l’exemple libyen est non seulement une erreur mais un crime, car cela va pousser à la militarisation et à la désorganisation du pays. Le CNS n’a pas réussi à s’élargir et Hillary Clinton, dans les dernières semaines de son mandat, avait déclaré qu’il était mort. En novembre 2012, à la conférence de Doha, a été proclamée la Coalition syrienne dont le CNS reste le noyau dur.

-Et avec la coalition, vous n’avez pas pu trouver un terrain d’entente ?

La Coalition nous a demandé de nous mettre sous son autorité et a refusé que nous travaillions sur un pied d’égalité en tant que deux fronts, l’un de l’extérieur et l’autre de l’intérieur. Notre formation et notre support populaire sont, pour ne pas dire plus grands, au moins aussi importants que la coalition.

-Quelles sont les forces politiques qui composent votre  formation ?

Notre formation regroupe 9 partis politiques, soit l’essentiel des forces communistes, des nationalistes arabes, des Nassériens, des Kurdes, 4 organisations non gouvernementales, des personnalités indépendantes. Sur 25 membres de la direction nationale, je suis le seul à être à l’étranger en tant que responsable de la section internationale et pour des raisons de sécurité. Car je suis menacé aussi bien par les djihadistes que par le régime syrien qui a assassiné mon frère, et a tué dans ses attaques 18 membres de ma famille qui étaient tous dans la mouvance civile qui refuse la violence et toute forme de répression et d’autoritarisme. Parmi les 25 membres de la direction, deux sont portés disparus. Nous avons plus de 300 militants à l’étranger.

-Mais votre mouvement n’est-il pas écarté, mis de côté en tant qu’acteur et opposition par rapport à la coalition nationale ?

Il est connu que les principales agences de presse dans le monde sont sous influence occidentale. Reuter, par exemple, n’a jamais repris une de nos activités en deux ans et demi ; l’AFP diffuse un de nos communiqués sur cinq. On est boycottés par l’ensemble des médias des pays du Golfe et de Turquie. Ce qui n’empêche pas que j’ai été reçu par 41 ministres des Affaires étrangères, de Pékin jusqu’à Brasilia, et qu’on est reconnus par une dizaine de pays européens et dont les ministres des Affaires étrangères m’ont reçu (de Belgique, de Suède, de l’Union européenne). Nous avons d’excellents rapports avec les Suisses et les pays scandinaves. On est en très bon contact avec l’Egypte, l’Irak… le président palestinien m’a reçu trois fois, Moncef Marzouki trois fois également et aussi le Premier ministre marocain, Benkirane.

-Avez-vous des contacts avec le représentant des Nations unies, Lakhdar Brahimi ?

Nous avons beaucoup de respect pour Lakhdar Brahimi, qui a une excellente expérience diplomatique. Nous pensons que nous avons la chance de l’avoir comme interlocuteur. Nous sommes en contact régulier avec lui et avec ses conseillers, je le vois chaque fois que c’est possible, au Caire, à Genève et à Paris.

-Il est attentif à vos propositions ?

Lakhdar Brahimi a défié les autorités syriennes et a rencontré le Comité de coordination pour un changement démocratique deux fois à Damas et une dizaine de fois en dehors de la Syrie.

-Avez-vous bon espoir que Genève 2 puisse se tenir et déboucher sur une solution à la crise syrienne ?

Dans l’histoire des événements syriens, une seule fois les cinq pays membres du Conseil de sécurité sont tombés d’accord, c’était le 29 juin 2012 ; ils sont arrivés à un compromis intelligent, c’est-à-dire que la question essentielle n’est pas que Bachar Al Assad quitte le pouvoir, mais qu’il doit transmettre ses pouvoirs exécutifs à un organe politique qu’on a appelé le Gouvernement d’unité nationale, avec un Premier ministre de l’opposition pour une période de transition. Cette solution, à mon avis, est une occasion, peut-être unique pour nous, d’obtenir le maximum de nos revendications en tant que mouvement populaire syrien.

-C’est la ligne que vous défendez ?

C’est pour cela qu’une semaine après le communiqué de Genève, nous avons dit ; nous sommes prêts à aller à Genève 2 à deux conditions. La première est la participation des trois pays absents de Genève 1 qui sont L’Egypte, l’Iran et l’Arabie Saoudite, parce qu’un proverbe arabe dit : «Celui qui est absent va susciter des troubles.» La deuxième condition consiste en la présence de deux délégations syriennes, l’une de l’opposition et l’autre de l’Etat syrien.

-Mais l’opposition est divisée. Comment surmonter cette difficulté ?

Dans l’histoire moderne, il n’y a jamais eu d’unanimité dans les médiations et les négociations. Pour notre part, nous sommes prêts à nous joindre à une délégation de l’opposition qui serait appelée délégation de l’opposition nationale syrienne composée du Comité national de coordination, de la Coalition et du Haut Comité kurde, avec quelques personnalités indépendantes.

-Et les islamistes   ?

Ils sont dans la coalition dont ils sont la principale composante. Il est de notre devoir de former une force armée incluant des éléments de l’armée syrienne, des unités populaires kurdes et des dissidents honnêtes pour nous débarrasser des djihadistes. La complicité de l’état-major de l’armée libre avec les groupes djihadistes n’est pas au profit de l’armée libre, les djihadistes ont profité des armes et de l’argent et de la protection internationale pour s’imposer. Aujourd’hui, il y a plus de 10 000 djihadistes étrangers sur le territoire syrien.

Posted by Alexandre Vouillet on Sep 21, 2013
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