ديسمبر 06, 2024

Une quête lente et inaboutie

Une quête lente et inaboutieC’est à l’orée du XXe siècle  que trois grandes figures de la pensée islamique (Al Afghani, Mohammad Abdo et al Na’ini) font entrer le concept de la réforme et de l’Etat constitutionnel dans le mode musulmane. Al Nahda (la “renaissance”) devient le mot magique de la vie culturelle au Proche-Orient, avec l’arrivée de nouvelles catégories sociales, comme les avocats, les journalistes et les enseignants, dont beaucoup ont trouvé la liberté en exil en France et en Egypte, produisant les premiers écrits sur la démocratie et des libertés fondamentales. La naissance des partis politiques et des associations socioculturelles renforce alors le conflit des idées ainsi que des intérêts. Les courants nationalistes ont ouvert une brèche dans les structures confessionnelles et claniques, en introduisant le pluralisme politique en leur sein et en laissant les femmes participer à la vie publique. Le  nationalisme s’enrichi d’une double confrontation : contre l’Etat ottoman perçu comme entité religieuse et contre les puissances coloniales occidentales.

En 1933 naît l’Union de la femme arabe. C’est aussi dans capitale syrienne qu’un écrivain libanais, Raif Khoury, publie en 1937  le premier livre en arabe sur les droits de l’homme. Paradoxalement, la période de la 2ème guerre mondiale est celle d’un moment universel dans l’élaboration de la culture arabe contemporaine, avec des livres écrits et traduits, des journaux et des revues distingués à Damas, Beyrouth, Bagdad et surtout au Caire. Ce mouvement aboutit à l’indépendance politique en Syrie et au Liban, et une contestation sociopolitique en Egypte en 1946.

Si l’occident célèbre cette année le 60ème anniversaire de la naissance de l’Etat d’Israël et de la déclaration universelle des droits de l’Homme, le monde arabe se remémore al Nakba “la catastrophe”. Un désastre vécu non seulement par le peuple palestinien, mais par ceux de la région : la militarisation accrue de l’Etat hébreu avec renforcement de la conviction que la réponse ne peut être que dans une armée arabe forte et puissante. A l’inverse, le discours sur un Etat civil se trouve marginalisé.

L’étranglement du projet démocratique, au nom de la défense nationale, sera couvert pendant les années de la guerre froide par l’exemple soviétique. Mais la chute du mur de Berlin a marqué la fin de toutes les idéologies du parti unique. Une nouvelle élite réclame une société civile digne de ce nom dans un Etat constitutionnel. Et depuis la fin des années 80, la constitution des ONG dans le monde arabe, de jure ou de facto, est multipliée par 15. Des intellectuels, avocats, médecins, enseignants, et journalistes forment des associations tampons entre un Etat, de plus en plus en perte de légitimité et de contact avec la société, et une société à la recherche des droits minima socio économiques, civiques et politiques. Le monde arabe commence à vivre une contre attaque à l’égard des pouvoirs autoritaires.

Mais le 11 septembre 2001 met un frein à cette démarche. Une dizaine de régime arabe décrète des lois antiterroristes, des tribunaux d’exception et certains les constitutionnalisent. Le tout-sécuritaire s’abat sur la révolution des technologies de l’information et de la  communication.

Les Occidentaux sont à l’origine de la mondialisation d’un Etat d’exception où les images Guantanamo et d’Abu Ghreib  rappellent celles de Tazmamart (Maroc) et de Palmyre (Syrie). Des lois antiterroristes et des traités rassemble dans un même sac immigration illégale, terrorisme et criminalité transfrontalière. Le mauvais exemple de l’Occident « démocratique » renforce dans le monde arabe deux extrêmes: un Etat autoritaire et un projet totalitaire à coloration islamique.

C’est un grand défi pour la résistance civile de tenter de survivre. Les figures de cette résistance sont  l’objet d’arrestations arbitraires et d’accusations préfabriquées. Plus de 500 militants et intellectuels sont privés de passeports, des milliers sont privés d’emploi et une centaine de personnalités sont en prison. Aref Dalila, Fida Horani, Michel Kilo, Faiz Sara, sont parmi une vingtaine de défenseurs de la société civile détenus en Syrie. Des défenseurs de la réforme constitutionnelle en Arabie Saoudite, tels que Matrouk al Faleh, Abdallah al Hamed et Saoud al Hashimi, sont actuellement en prison. Des journalistes, académiciens, défenseurs des droits humains tunisiens, marocains, égyptiens, syriens, iraqiens et yéménites militent dans une situation assez difficile. Le monde arabe totalise plus de 62000 prisonniers. Plus de 80% d’entre eux étant détenus pour des raisons liées à la guerre contre le terrorisme!

Aujourd’hui, les jeunes posent des nouvelles à la classe politique traditionnelle. Les damnés de la terre bougent sans le feu vert des partis politiques et des syndicats. De nouvelles structures politiques et beaucoup d’imagination sont plus que jamais nécessaires. Seule une renaissance politique, protégée par une résistance civile engagée en faveur des libertés et des droits de l’homme, peut être un rempart contre les structures autoritaires de l’État dans ses formes actuelles et à venir.

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Forum & débats: Des sociétés privées d’espace, La Croix, le 6/06/2008

* Ecrivain et porte parole de la Commission arabe des droits humains