La rencontre Haytham Manna–Staffan Di Mistura à Genève, le 2 mars 2015, a constitué de l’avis de nombreux observateurs, un tournant diplomatique majeur du conflit syrien et un camouflet à l’opposition syrienne off shore, à la solde de la France, du Qatar et de la Turquie.
Président de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), Haytham Manna, responsable pour la diaspora syrienne du Comité de Coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD, opposition syrienne non armée), tire pour l’opinion publique arabe et internationale la signification de cette rencontre et ses enseignements, à deux semaines de la date prévue de la grande conférence de l’opposition démocratique syrienne au Caire, à la mi avril.
Haytham Manna : « Nous sommes devant une nouvelle orientation, sérieuse cette fois, pour sortir de la crise dans laquelle se débat la Syrie depuis quatre ans. A coup sûr, la nouvelle démarche est qualitativement différente de celle de la réunion au Caire tenue en 2012, sous l’égide la Ligue arabe.
En Août 2013, j’avais dit à Robert Ford, l’émissaire américain auprès de l’opposition off shore, que nous avions besoin d’une conférence dotée de plénitude de décision et de souveraineté, d’où seraient bannis les khawajat (notables en costumes trois pièces), privés de leurs mobiles (pour couper la voie à d’instructions téléphonées), privés de dollars (qui lubrifieraient leurs votes).
Robert Ford m’avait alors répondu : « Les Khawajat sont présents car l’opposition syrienne n’est pas en mesure de régler ses problèmes par elle même. J’ai alors répliqué : « L’opposition que vous avez intronisée n’est pas en mesure d’atteindre cet objectif ».
Le collectif des forces politiques et de personnalités patriotiques syriennes» constitué au Caire est « indépendant de tout financement. De toute instrumentalisation ». Réuni au Caire du 22 au 24 janvier, à l’invitation du « Conseil Égyptien des Affaires Étrangères » le collectif a dégagé une feuille de route reflétant le plus largement possible les vues de l’opposition en vue d’unifier les efforts visant à réactiver la solution politique, conformément au « Communiqué de Genève » et les résolutions des Nations unies y afférentes.
L’envoyé spécial de l’ONU en Syrie, M. Staffan Di Mistura a procédé le 3 mars 2015 à un échange de vues avec Haytham Manna sur les préparatifs en cours en vue de la tenue d’un congrès de l’opposition démocratique syrienne à la mi avril. M. Manna s’est exprimé en sa qualité du président du comité du suivi chargé de préparer la tenue de ce congrès.
« Indépendant de tout financement, de toute instrumentalisation, il est à ce titre différent qualitativement des précédentes démarches.
Mohamad Ali : Cette démarche ne participe-elle pas, ainsi que cela a été le cas depuis le début du conflit syrien, d’une opération de diversion en faveur d’Israël en ce que nous considérons que la Syrie relève du groupe des pays du champ de bataille, engagée dans une crise visant à la détourner du Golan et aux efforts visant à sa restitution ?
Al Qaida
Haytham Manna : Il s’agit d’une analyse superficielle. Nous ne saurons oublier qu’Al Qaida, dont le fondateur est mort sans que son mouvement ne se distingue par la moindre opération contre Israël. Nous ne saurons oublier que d’autres unités combattantes se sont impliquées dans le jeu israélien. Nous ne saurons oublier le combat de notre peuple pour sa dignité, sa liberté et sa libération. Ceux qui se sont livrés à des manifestations de protestation et des marches pacifiques ont une claire position vis à vis de l’entité israélienne, spoliateur des terres arabes syriennes. Ce sont leurs familles qui avaient offert l’hospitalité à leur domicile aux victimes des agressions de 2006.
Beaucoup de dissidents de l’armée syrienne qui ont déserté l’armée pour ne pas tirer contre leurs familles portent des distinctions honorifiques pour bravoure durant la guerre d’Octobre 1973.
La destruction programmée du pays, l’attaque menée sans discernement contre l’institution militaire de la part des groupement extrémistes servent les intérêts d’Israël. Le projet de détruire les armées arabes d’Irak, de Syrie, d’Égypte et de Libye est un projet israélien par excellence. Les groupes extrémistes mènent cette mission par procuration. Certes, il est évident que la dictature ne saurait libérer le pays en ce qu’elle a refusé de traiter l’homme en tant que citoyen».
QAMH
Mahmoud Ali : QAMH : Un nouveau parti politique d’opposition ?
Haytham Manna : « QAMH n’est pas un projet visant à constituer une nouvelle formation d’opposition. Il répond à un triple objectif :
– Primo : Un projet de sensibilisation culturel et civilisationnel ; une riposte au niveau intellectuel consécutif à la défaite des idéologies et à la forte attractivité exercée par la sauvagerie dans les rangs de la jeunesse. Au vu du comportement de Da’ech, de Jabhat An Nosra et de leurs semblables, nous avons besoin de répliquer par la civilisation, la méditation, la réflexion en période de takfirisme, (d’apostasie à tout va), d’innover en période de ténèbres, de repli sur soi et de suivisme. … D’entrer dans l’histoire et de plain pied dans l’époque moderne. Les obscurantistes poussent les gens vers les marécages du Moyen Age.
– Deuxio : Un projet de résistance civile relevant du grand mouvement civique par ses attaches sur le plan régional et international. A notre grand regret, les termes « mouvement civique » et « société civile » ont été galvaudés et déformés par les enfantillages de l’extrémisme confessionnel. Il nous importe de restaurer son crédit au terme « résistance civile », de même qu’autres modes d’expression qui protègent la société.
– Tertio : Un projet de portée politique. Un de ses objectifs directs, dans un pays baignant dans une sale guerre, est la recherche d’une solution politique. Un règlement politique s’impose plus que jamais par l’arrêt de la violence destructrice. QAMH considère que la proclamation du Caire constitue une base solide en mesure de servir de tremplin à un règlement politique dans le cadre de la proclamation de Genève.
En prévision de la tenue du congrès de l’opposition démocratique du Caire, à la mi-avril, des opposants syriens ont annoncé la formation d’un nouveau courant politique « QAMH », qui signifie blé en arabe mais qui constitue, en fait, l’acronyme de valeurs professées par cette nouvelle formation politique : Qyam (Valeurs), Mouwatana (con citoyenneté) et Houqouq (Droits).
Ce mouvement civil pacifique s’engage ainsi dans l’arène, d’une manière unifiée, par fidélité à la mémoire de ceux qui ont sacrifié leur vie pour l’édification d’un état démocratique et civil… en vue de, mener le combat pour l’édification d’un pays libre qui assume la pleine protection de ses citoyens, défendre les valeurs humaine ; approfondir une meilleure connaissance des cultures tant arabes que musulmanes qu’universelles, ancrer la légalité internationale des droits de l’homme dans les cœurs et les esprits, jeter un pont à tous les hommes libres d’Orient et de l’Occident en vue d’édifier une humanité plus juste, une société civile démocratique, créer enfin un réseau de relations internationales dégagé de toute emprise, domination ou exploitation.
L’option militaire
Mahmoud Ali : Quid de l’option militaire ?
Haytham Manna : Au sens sociologique et culturel, la violence n’assume plus aucun rôle positif en Syrie, tant la violence du pouvoir que la violence des porteurs d’armes en provenance de l’étranger. La population a été bercée d’illusions. Plus d’un opposant m’a pressé à faire mes valises et à me préparer à retourner au pays, dans un délai d’un mois.
Mettons sur le même plan, les trois légendes qui ont alimenté la guerre de Syrie : la légende de l’équilibre des forces, la légende du gain de temps en vue de modifier les rapports de force et la légende de la victoire militaire.
La Syrie a perdu 350 milliards de dollars du fait du conflit ; une somme qui excède les capacités de l’Allemagne et du Royaume Uni. L’unique solution est politique avec une caution internationale, une garantie et des obligations régionales et internationales.
L’abdication préalable de Bachar Al Assad
Mahmoud Ali : Dans le passé, l’abdication de Bachar Al-Assad était posée comme la condition absolue à la recherche d’un règlement. Ce sujet ne parait plus à l’ordre du jour. L’opposition a-t-elle renoncé à cette condition préalable ?
Haytham Manna : Cessons de mentir. L’opposition off shore s’est rendue à Genève 2 et a négocié avec une délégation de Bachar Al Assad. Elle n’a donc pas posé comme préalable le départ de Bachar Al-Assad. Ils espèrent que le Congrès de l’opposition au Caire fasse de la surenchère sur ce sujet.
L’Égypte
Mahmoud Ali : Votre analyse du rôle de l’Egypte dans le nouveau cours politique syrien. Quelle est l »attitude du Caire vis à vis de l’opposition syrienne, particulièrement le fait que certains fractions soient liées à la confrérie des Frères Musulmans.
Haytham Manna : J’ai attiré l’attention d’un ministre des Affaires étrangères d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU sur le fait que les Affaires étrangères égyptiennes constitue une institution en soi. A l’image d’une hôtesse de l’Air de la compagnie aérienne égyptienne Egypt Air qui assure les prestations à chaque vol, de manière immuable. Une permanence malgré le changement de cinq présidents. Les empreintes de la diplomatie égyptienne étaient bien visibles avant et après la révolution. Les Frères Musulmans ont tenté de la domestiquer. En vain. Nous sommes satisfaits de nos relations avec les Affaires étrangères d’Égypte. De bonnes intentions reposant sur le respect mutuel avec nos frères d’Égypte. Il est admirable de constater que nous invitons les responsables égyptiens à déjeuner et qu’ils nous rendent la pareille, par la même voie. Pas de réseau. Pas de gratifications. Pas d’affiliés à des intermédiaires.
Les Frères Musulmans de Syrie
Le problème des Frères Musulmans par rapport aux démocrates syriens ne concerne pas l’Égypte. Les FM de Syrie ont été les avocats de la confessionnalisation du conflit et de Jabhat an Nosra, des partisans de la militarisation du conflit et de l’armement des contestataires. Ils nous ont accusé d’être des agents stipendiés car nous avons refusé de nous transformer en mercenaires, en refusant le suivisme et l’ingérence étrangère.
Plus de la moitié des participants au Congrès de l’opposition syrienne au Caire, à la mi avril 2015, déclineront l’invitation si les FM de Syrie y étaient conviés. Le sujet est complexe au plus haut degré. Notre expérience avec les FM de Syrie est amère.
La mission de l’envoyé spécial de l’ONU à Alep
Mahmoud Ali : Que pensez vous de la mission à Alep (Nord de la Syrie) de Staffan di Mistura, émissaire de l’ONU en Syrie ?
Haytham Manna : J’ai évoqué avec Staffan Di Mistura (Italie) un scénario national qui mettent un lien entre la situation au niveau des provinces syriennes, la situation sur le terrain dans la perspective de la proclamation de Genève. Nous observerons le degré de réceptivité à nous vues et aviserons en conséquence.
La Russie: La conférence de Moscou, « un grand échec »
Mahmoud Ali : Une fraction de l’opposition syrienne et le régime syrien ont participé à une conférence à Moscou, en Février 2015. À ce jour, aucun indice positif n’est apparu. De quelle chance de succès créditez vous le rôle de l’intermédiaire russe ?
Haytham Manna : La conférence de Moscou, telle qu’elle s’est déroulée, a constitué un grand échec. Il est nécessaire d’en modifier l’optique, l’approche, son orientation, définir sa mission et son cours. L’initiative a crée une dynamique nouvelle qui n’a pas été mise à profit, en tut vas pas comme cela était souhaité. Nus souhaitons qu’ils tirent profit des leçons de cette expérience.
L’Iran : Un partage des rôles : le nucléaire aux Affaires étrangères et les affaires régionales aux Gardiens de la révolution
Mahmoud Ali : Le rôle de l’Iran s’étend sur plusieurs fronts (Yémen, Irak, Liban Syrie). Quel est le rôle de l’Iran dans le conflit syrien ?
Haytham Manna : Sur le plan stratégique, la notion de vacuité n’existe pas. L’expansion de la Turquie et de l’Iran a pour origine l’absence d’une force arabe en mesure de sécuriser l’espace national arabe.
Avant Qousseir, nous nous sommes prononcés contre toute présence d’une force combattante non syrienne, à quelque pays qu’elle appartienne, d’où qu’elle vienne. À notre regret, l’opposition n’a pas partagé notre vue sur ce sujet. Finalement, la communauté internationale a souscrit à notre position dans deux résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, considérant que toute présence non syrienne constitue un facteur d’escalade militaire du conflit et un facteur de sa confessionnalisation. En aucun cas, un facteur contribuant à l’édification d’un état syrien moderne et souverain.
(NDLR : Qousseir, ville de l’ouest de la Syrie, conquise en 2012 par la Brigade Omar al-Farouq, de l’Armée syrienne libre, soutenue par le Fatah Al Islam. En mai 2013, la ville est assiégée par l’armée arabe syrienne, soutenue par le Hezbollah. Le 5 juin 2013, les médias officiels annoncent la défaite des rebelles et le contrôle de la ville par l’armée arabe syrienne).
Depuis l’arrivée du président Hassan Rouhani au pouvoir, un partage des rôles s’est opéré à Téhéran : le nucléaire aux affaires étrangères et les affaires régionales aux Gardiens de la révolution. Face à une telle conjoncture, il est difficile de prévoir un reflux de la violence et de l’ingérence.
L’Arabie saoudite et le Golfe pétromonarchique : une absence de rationalité
Mahmoud Ali : quelle était votre vision du rôle de l’Arabie Saoudite et des pétromonarchies du golfe ?
Haytham Manna : La rationalité a été absente du Conseil de Coopération du Golfe (le syndicat des six pétromonarchies – Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Sultanat d’Oman). Le Qatar continue de jouer sa partition. La position des pétromonarchies a varié plus d’une fois au cours des quatre ans du conflit. Nous ne cachons pas notre joie devant la fin de la séquence bandarienne, par référence à Bandar Ben Sultan, ancien chef des services de renseignements saoudiens. Nous avons enregistré avec satisfaction la position de l’Arabie et d’autres pétromonarchies sur la nécessite de la solidarité arabe, la fraternité, la nécessité de protéger la sécurité nationale arabe et de passer à une solution politique en Syrie, mettant un terme à la violence, la dictature et au terrorisme.
Interview de Haytham Manna au « Journal d’Égypte » et à la publication arabophone « Al Badil »
Propos recueillis par Mahmoud Ali – Adaptation en version française René Naba, responsable éditorial du site www.madaniya.info