أكتوبر 13, 2024

La Syrie est détruite, il est urgent d’arrêter l’hémorragie

IMG-GZG-19735 Un nouveau regroupement de la dissidence syrienne se réunit au Caire ce lundi et mardi. Le vétéran de l’opposition syrienne et co-organisateur, Haytham Manna expose l’objectif de la conférence : annoncer une charte nationale et adopter une feuille de route visant à offrir une solution intermédiaire entre la tyrannie d’Assad et la violence de Daech.

LE FIGARO – Quel est l’objectif de cette conférence?

Haytham MANNA – Cette conférence rassemble environ 150 personnes qui représentent près de 40 partis et organisations politiques, ainsi que des organisations de la société civile, des militants des droits de l’homme, des personnalités sociales, politiques et militaires. La moitié des participants vit en exil. L’autre moitié arrive directement de Syrie. Ce concept de participation partagée est inédit. À l’issue de ces discussions de deux jours, une feuille de route ainsi qu’une charte nationale seront ainsi adoptées, puis présentées à Genève à Staffan de Mistura, le médiateur de l’ONU pour la Syrie.

Autre point important: cette réunion est syro-syrienne, financée à 100 % par nous-même, l’idée étant de mettre fin aux multiples ingérences dont est victime le pays depuis le début de l’insurrection contre Bachar el-Assad en 2011. Ces dernières années, notre opposition a suffisamment souffert de sa dépendence politique et financière envers de nombreux pays: Qatar, Turquie, Arabie saoudite, etc. Nous sommes également contre les armes. La Syrie est détruite. Il est urgent d’arrêter l’hémorragie, d’en finir avec ce régime et de faire cesser cette sale guerre qui a renforcé toute sorte d’extrémisme. On n’a pas pu gagner avec le chaos, on doit gagner avec les mots.

Pourquoi avoir choisi l’Égypte?

Nous cherchions un pays qui nous accorde un maximum d’indépendance dans l’organisation de ces rencontres. En dépit des changements politiques post-révolutionnaires, de Tantaoui à Sissi, en passant par Morsi, le ministère égyptien des Affaires étrangères a toujours maintenu de bons rapports avec l’ensemble des courants de l’opposition syrienne. Tout a commencé par une petite délégation syrienne venue ici en mai 2014. Puis cela a débouché sur la conférence du Caire en janvier 2015. Les rencontres de cette semaine s’inscrivent dans cette continuité.

Faut-il y voir une alternative à la Coalition de l’opposition syrienne, principal regroupement en exil?

Non. Nous ne sommes pas là pour remplacer quiconque, ni pour diviser. Nous avons d’ailleurs parmi nous une vingtaine de membres du courant démocratique de la Coalition, dont Ahmad Jarba, son ex-président. Nous partons seulement du principe que «Genève 2» a été mal préparé. J’ai personnellement refusé d’y participer car j’ai senti que ce qui intéressait les deux principaux partenaires, c’est à dire la Russie et les États-Unis, c’était la tenue de la conférence plus que la réussite de la conférence.

Aujourd’hui, notre objectif est de revenir au fameux «communiqué de Genève», signé en juin 2012 par les grandes puissances, et qui propose un règlement politique du conflit. Il consiste à négocier avec une délégation du gouvernement syrien sur la base du transfert des pouvoirs militaires et politiques à un gouvernement de transition. Il est clair que Bachar el-Assad n’a aucune place dans la Syrie de demain. Nous appelons à un régime parlementaire.

Que contient votre charte?

Elle réunit des principes qui rassemblent et protègent tous les Syriens. Nous sommes pour la séparation de l’État et de la religion. Nous sommes également pour l’égalité entre tous les citoyens, quelle que soit leur ethnie, religion ou leur sexe. Que vous soyez un homme, une femme, un kurde, un arabe, un chrétien, vous avez le droit d’être président. Par ailleurs, nous souhaitons criminaliser le confessionalisme politique et le terrorisme, car ils ont tué notre société.

Avec la guerre qui fait rage, n’est-il pas déjà trop tard?

Il n’est jamais trop tard. La Syrie est composée de 23 millions d’habitants. Ceux qui sont directement impliqués dans le conflit armé sont moins d’un million. Malheureusement, 22 millions de personnes n’ont pas le droit de parler. C’est une majorité silencieuse dont on assassine les voix avec les bombes, l’extrémisme et les opérations suicide. D’où la nécessité de contenir les combattants radicaux, du côté du régime comme du côté de Daech, et notamment les combattants étrangers. C’est pourquoi nous insistons, dans notre feuille de route, sur l’importance d’expulser ces étrangers, quel que soit leur camps: iraniens pro-régime ou européens pro-Daech. Car aujourd’hui, le conflit n’est plus syrien, il a dépassé les frontières du pays.

Reste-t-il encore une place pour une armée syrienne libre, aujourd’hui fragmentée et prise en étau entre les forces d’Assad et des djihadistes de Daech?

Oui, je crois aux forces modérées. D’abord, il faut faire la distinction entre l’État syrien et le régime, entre les unités spéciales de l’armée et l’armée tout court. Les militaires modérés ont la capacité de retrouver une place de choix si le processus politique commence, parce que la solution politique négociée isole les forces extrémistes et ouvre la voie de l’intégration dans une armée syrienne nationale, non idéologique ou confessionnelle. Ensuite, côté opposition, il existe également de nombreuses forces modérées, y compris chez les ex-généraux de l’armée syrienne qui ont fait défection. D’après moi, ces deux groupes ont leur place face aux radicaux de tous bords. Le plus important, c’est qu’il y ait une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU obligeant les États concernés à retirer leurs combattants étrangers de l’intérieur de la Syrie. Les turcs doivent s’engager à mieux contrôler leur frontière. Les Iraniens doivent cesser de soutenir les forces du régime. Mais il faut une volonté politique de la communauté internationale, et une sorte d’engagement régional.

Pensez-vous que l’obtention d’un accord sur le nucléaire puisse pousser l’Iran à revoir son soutien inconditionnel à Bachar el Assad?

Depuis l’élection de Hassan Rohani (ndlr: président modéré, élu en 2013), il existe malheureusement une division du travail chez les apparatchicks iraniens: le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, se concentre essentiellement sur le nucléaire, tandis que les problèmes régionaux sont entre les mains du général Qasem Soleimani (ndlr: commandant de la force Qods au sein des Gardiens de la revolution). Nous en faisons les frais, car Qasem Soleimani ne sait faire qu’une chose: combattre. Le mot négociation n’est pas dans son dictionnaire. Ainsi, on peut espérer qu’une issue positive dans les négociations nucléaires permette au ministère des Affaires étrangères de jouer de nouveau un rôle dans les affaires régionales. J’espère aussi que le conflit qui fait rage au Yémen serve de leçon à l’Iran et à l’Arabie saoudite, qu’il leur rappelle qu’on ne peut pas gagner avec la confrontation militaire.