مارس 22, 2024

La peine de mort est un crime, en Irak comme ailleurs

Death Penalty9 des 126 femmes condamnées à mort par Tribunal spécial irakien sont menacées d’exécution ce vendredi 27 novembre, jour de l’Aïd El Adha, la fête musulmane du sacrifice. Haytham Manna, porte-parole de la Commission arabe des droits humains, commente cette horreur.

Lorsque nous publiions des déclarations sur des condamnations à des peines de mort et des exécutions extrajudiciaires à l’époque de Saddam Hussein, l’opposition irakienne prenait nos déclarations et les distribuait. Il s’est même trouvé plusieurs dirigeants des deux plus grandes organisations kurdes au Kurdistan irakien, du Parti Communiste Irakien et d’autres, pour s’engager à abolir la peine de mort dans l’Irak démocratique après la chute du régime.
Les débats à huis clos entre les partis islamistes irakiens (sunnites et chiites) montrent que la culture politique irakienne n’a pas encore osé faire une évaluation approfondie et critique au sujet de la peine de mort politique dans l’Iraq contemporain.

Rien d’étonnant à cela : le mouvement politique islamiste, avec la plupart de ses groupes, a plutôt joué un rôle similaire à celui des néoconservateurs dans la culture occidentale, et s’est opposé à l’abrogation de la peine de mort en s’appuyant sur l’interprétation formelle et littérale de l’idée de tuer une personne sous la loi du talion (Jus Talionum) que l’on retrouve dans les versets coraniques des sourates Al-Israa/XVII’ (verset 33), Al-Maida/V (32-33), Al-Anaam/VI (151) et Al-Baqara/II (178).

On peut également dire – vingt ans après une déclaration collective contre la peine de mort que nous avions publié lors du bicentenaire de la Révolution française – que la culture de l’abolition reste encore très sommaire en langue arabe. En effet, l’ensemble de ce qui a été écrit dans des déclarations, articles et études à ce sujet n’atteint guère les mille pages. Et il est cent fois plus facile de parler, aujourd’hui, des crimes d’honneur que de parler de l’abolition de la peine de mort.

Les quatre cinquièmes des peines de mort dans le monde arabe et en Iran sont dues à des raisons politiques. Un avocat yéménite, Ahmad Alwadii, a recensé les cas où le législateur yéménite recourt à la peine de mort, et il l’a trouvée dans le code criminel et pénal pour 126 actes, dans le code pénal militaire pour 166 actes, dans le code des drogues pour 33 actes, et dans le code des enlèvements et de la vendetta pour 90 actes. Quant aux organisations des droits humains, elles ont souligné que la plupart des cas de peine de mort en Iran sont de nature politique. En effet, il est malheureux qu’un islamiste défende la peine de mort alors que le taux des islamistes parmi ceux qui ont été victimes de cette peine est le plus élevé par rapport aux autres courants de l’opposition politique.

De prime abord, et pour tout ce qui se rapporte au meurtre, il est entendu que les crimes d’État sont infiniment plus violents et graves que les meurtres commis par des individus. De plus, cette question ne concerne pas seulement la sûreté de l’État, mais elle touche également aux malheurs de la guerre, aux massacres collectifs et aux agressions. Il est également entendu que les crimes commis par des individus, quel que soit le degré de leur dangerosité et gravité, n’ont subi aucun effet positif du fait de l’existence, du gel ou de l’absence de la peine de mort.
Le concept de l’intention pénale, de l’importance de la sanction et de son efficacité a évolué depuis le premier siècle de l’ère chrétienne, et cette évolution a continué jusqu’à l’apparition de la Lex Cornelia qui élimine la peine de mort. L’ironie du sort a voulu qu’avec la période du recul de l’Europe, Ibn Al-Arabi ait été le premier à revendiquer l’abolition de la peine de mort car « le Donneur de la vie, exalté soit-Il, est le Seul qui a le droit de l’enlever ».
C’est la même idée sur laquelle s’est basé Victor Hugo lorsqu’il a dit, dans son discours à l’Assemblée nationale, lors du débat sur l’abolition de la peine de mort, en 1848 : « Le dix-neuvième siècle est l’ère de l’abolition de la peine de mort. L’homme n’a pas le droit de détruire ce que Dieu seul a créé. Or c’est Dieu qui a donné la vie au criminel. Donc les hommes n’ont pas le droit de la lui ôter». Mais le poète Lamartine avait précédé Victor Hugo en disant, dix ans auparavant, devant le même parlement : « Ce n’est pas la mort qu’il faut apprendre à craindre, c’est la vie qu’il faudrait apprendre à respecter ! »

L’héritage stalinien n’est pas très différent de celui l’extrême-droite occidentale (fasciste, nazie, néonazie, néoconservatrice, …) dans son attitude malheureuse et sa pratique repoussante de l’exécution judiciaire et extrajudiciaire. Cependant, la colonisation occidentale a emporté avec elle la peine de mort dans les pays colonisés et l’y a appliquée alors qu’elle était abrogée dans la métropole, ce qui montre clairement une attitude de mépris et de racisme. Quant à l’histoire de l’Égypte, elle ne peut ignorer le procès de Denshawai en 1906 qui a ramené les cordes de pendaison de la « Petite » Bretagne en Égypte ainsi que les exécution en public de paysans innocents contre lesquels le tribunal Al-Makhsouma (tribunal mixte spécial qui n’est surtout pas lié par le code pénal) a prononcé des peines de mort.

On peut dire que le vingtième siècle a connu un fort mouvement abolitionniste, au cours duquel plus de 120 États ont adhéré à l’abolition de la peine capitale. En effet, c’est devenu un objet de fierté pour un ministre de la Justice de préparer une loi pour l’annulation de cette peine. À une telle occasion, le ministre suisse de la Justice a dit : « Je n’imagine jamais qu’un État – sous le règne de la démocratie et les principes de l’humanité – puisse avoir le rôle d’un « bourreau ». Le rôle d’un État est d’arracher le mal de ses racines, de travailler en vue de faire réaliser l’erreur à celui qui l’a commise, et ce, à travers la réparation et l’éducation ». Et son homologue belge de dire : « Nous avons appris que la voie du respect de la vie humaine consiste à refuser dans l’absolu de tuer une vie humaine au nom de la loi ». Quant à leur homologue français, tout en étant fier que la France ait été le premier pays européen à interdire la torture et l’un des pays précurseurs dans l’abolition de l’esclavage, il a dit regretter que son pays ait été le dernier à abolir la peine de mort en 1981, mettant en sourdine son enthousiasme nationaliste (les révolutionnaires de 1789 ont proposé l’annulation du système royal et l’annulation de la peine de mort et les représentants du peuple ont débattu sur cette question en 1791, et elle a été abolie en France, pour la première fois, en 1848).

Quelle est la différence entre un cannibale qui mange de a chair humaine et celui qui coupe les têtes des hommes comme des animaux au nom de la loi ? Il ne s’agirait, peut-être, que d’une différence temporelle, mais aussi, civilisationnelle. C’est pour cela que Cheikh Abdallah Al-Alaili a considéré la peine de mort dans l’Islam comme faisant partie des décrets temporels, et non comme un décret absolu, comme c’est le cas aussi pour les châtiments corporels qui sont, selon lui, applicables en fonction de leur représentation, et non dans leur sens littéral.

Peut-être que l’acceptation du gel de la peine de mort par plusieurs pays et penseurs musulmans constitue une étape transitoire nécessaire vers l’idée de son abolition. Cependant, s’agit-il d’une crise culturelle et historique, ou bien y a-t-il des idéologies extrémistes dans notre vie quotidienne, qui se cachent derrière le texte coranique, des sentiments chauvinistes réactionnaires ou relevant de la peste communautariste, qui favorisent, pour emprunter la phrase de J. Imbert, “l’amour des plaisirs cruels, l’instinct sanguinaire” ?

Le procès de Saddam Hussein ainsi que les images de son exécution ont fait ressurgir toutes les rancoeurs d’un passé enterré. Des fêtes le jour de l’Aïd. Pis encore, des rites de vengeance dans la ville de la science et de la sagesse, à Nadjaf. Le parti politique sectaire a découvert les sentiments les plus instinctifs et les a exploités comme l’a fait la « Petite » Bretagne en 1941, lorsqu’elle a exécuté les trois officiers nationalistes irakiens, et en 1949, lorsqu’elle a soutenu l’exécution politique des chefs du Parti Communiste … Et comme le rappelle Haifa Zankanah dans son article ‘Les programmes communiste et de Dawa (prédication) en Iraq : l’exécution est une revendication des masses’, publié dans l’organe du parti, Ittihad al-Shaab  le 13 mars 1959 : « Quant aux travailleurs d’Ain, ‘au nom des enfants innocents et des mères qui les ont perdus, au nom du sang pur des martyrs de Mossoul … les cadavres des criminels corrompus ont été traînés dans la ville de Mossoul et ses alentours ».

C’est une honte pour la vie politique d’un pays que les slogans glorifiant la peine de mort traversent l’ensemble de sa géographie politique!

Selon une information que personne n’a démenti, le gouvernement irakien est déterminé à appliquer la peine de mort lors du premier jour de l’Aïd El Adha en ce qui concerne neuf femmes parmi 126 qui ont été toutes condamnées à mort. Il paraît que la « démocratie » à l’américaine requiert l’utilisation de tous les moyens dans les campagnes électorales, de la corruption financière aux pots-de-vin en passant par l’instrumentation de la loi électorale et l’utilisation de toutes les bassesses sectaires, les rancoeurs enterrées et les bas instincts. La « Petite » Bretagne parlera d’un procès équitable même si elle est contre la peine de mort. L’administration Obama, on ne connaît pas encore sa position, mais il est à prévoir qu’elle n’interviendra pas dans « l’indépendance de la justice irakienne ».
Quant aux statistiques, elles nous rappelleront toujours que 91% des peines de morts n’ont lieu que dans six pays : la Chine, l’Iran, l’Iraq, le Pakistan, le Soudan et les USA. La bataille qui nous oppose à la peine de mort est compliquée et difficile car elle est contre la sauvagerie qui siège dans l’inconscient de l’Homme, elle est contre l’obscurantisme masqué en Occident et en Orient, et contre la sacralisation de l’institution juridique et de ses décisions dans l’histoire arabe et islamique.

Traduit par  Tafsut Aït Baamrane

Source : Al Quds Al Arabiالعراق: الإجرام في عقوبة الإعدام
Article original publié le 26/11/2009
Sur l’auteur
Haytham Manna est un auteur associé à Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique, dont Tafsut Aït Baamrane est membre. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, la traductrice et la source.
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