أبريل 24, 2024

Etat de droit, Etat de non droit

Etat de droitNous avons voulu que la journée internationale pour les victimes de la torture soit l’occasion d’exprimer notre solidarité avec les ONG égyptiennes qui mènent un combat pour l’Egypte et le monde arabe pour retirer la loi répressive des associations qui vient d’être adoptée au Caire. De parler des droits bafoués du peuple palestinien, des sanctions économiques imposées à l’Irak depuis 9 ans, de l’état d’urgence qui opprime la population dans dix pays arabes. Mais la Tunisie a ravi la vedette avec les poursuites judiciaires contre Omar Mestiri, qui devait être avec nous aujourd’hui, et l’enlèvement du Président de la Commission arabe des droits humains, le Dr Moncef Marzouki. Deux jours après sa disparition, Moncef est réapparu avec une convocation devant le juge le 5 juillet. La façon avec laquelle fut enlevée dans la rue cette grande figure du mouvement arabe et international des droits humains, nous donne une idée de la traduction tunisienne de l’Etat de droit

Le 7 novembre 1988 a été conclu à Tunis un pacte national mettant l’accent sur les références à l’Etat de droit et à l’identité arabo-islamique de la Tunisie. Qu’est devenue cette volonté affichée de construction d’un tel Etat? Comment un nombre de défenseurs des droits humains et des hommes politiques sont-ils transformés en criminels par ledit Etat de droit?

Omar Mestiri sera convoqué devant le juge le 3 juillet, deux jours après ce sera le tour de Moncef Marzouki et le 10, c’est Radia Nasraoui et ses co-inculpés qui passeront au tribunal. Décidément, les juges ne chôment pas en Tunisie.

Il est difficile de parler de régime en Tunisie, nous préférons parler du pouvoir. Un régime est un moyen de gouverner, d’une façon absolutiste ou démocratique, mais en respectant des règles du jeu. Ces règles sont soit imposées par le haut soit élaborées en concertation avec la société ou ses représentants. On peut accepter ou critiquer le système d’al-Dhimma, mais c’est une loi, un serment, un accord entre partenaires qui se respectent. Et le plus fort n’est pas apte à prendre l’initiative de l’abolir. L’Etat de droit dans une version progressiste du serment politique d’Ahl-dhimma, est un Etat de dhimma généralisé, autrement dit, le respect total de l’autre dans l’égalité des droits et l’égalité devant la loi. Le pouvoir en Tunisie a trahi à la fois son engagement pour un Etat de droit, ses engagements internationaux pour les droits de l’homme et sa promesse de respecter les grandes valeurs de la civilisation arabo-islamique.

En Tunisie, la destruction d’un Etat de droit passe par les violations massives et impunies commises par les services de sécurité, par la confiscation des libertés à travers des lois répressives et l’utilisation de la loi par un appareil judiciaire dépendant des autorités.

Pour les exactions hors-la-loi commises par les protecteurs de la loi, les exemples ne manquent pas: vols de voiture, coupure de fax, de téléphone, documents qui disparaissent de l’intérieur des maisons et des bureaux, confiscation de passeports, privations de l’emploi, pressions sur la famille etc.

Le code de la presse et l’organisation des associations sont de bons exemples de la confiscation des droits par la loi.

Le Code pénal tunisien est devenu depuis 1993 un acte de circonstance auquel s’ajouteront ou duquel se retrancheront des règles, au gré des “nécessités” politiques, imposées par le haut. On peut légitimement s’inquiéter aujourd’hui de la capacité à créer un code qui soit par et pour la société.

Si l’histoire de la justice, par-delà tout mythe du bouc émissaire et du châtiment collectif, illustre l’évolution de la morale sociale, nous pouvons, après une vingtaine de conventions pour la protection des droits humains, prétendre que nous vivons une époque où la considération de la victime l’emporte sur l’atteinte à l’ordre public. Malgré tous ses engagements internationaux, la Tunisie reste à l’époque de la conception uniquement répressive du droit pénal, où punir est à la fois venger et faire expier: le pouvoir a manifesté ouvertement sa volonté de consacrer la primauté de l’exécutif et de transformer le juge en fonctionnaire dépendant du pouvoir.

Peut-on parler d’un Etat de droit sans évoquer la nécessité de remplacer un code pénal avant tout protecteur des pouvoirs et des biens publics par un texte protecteur de l’individu et de la société et de s’approcher des normes de notre temps?

“Peut être également poursuivi et jugé par les tribunaux tunisiens tout Tunisien qui commet en dehors du territoire tunisien, l’une des infractions mentionnées à l’article 52bis du code pénal, alors même que lesdites infractions ne sont pas punissables au regard de la législation de l’Etat où elles ont été commises” (Article 305, ajouté par la Loi 93-113 du 22.11.1993).

Nous aurions du demander l’autorisation aux autorités tunisiennes pour organiser notre soirée à Paris, car les Tunisiens ici présents risquent malheureusement gros, au vu de cette loi!

 Colloque : Torture, Prisons et Prisonniers Politiques En Tunisie, 26/06/1999