أبريل 26, 2024

Catalogués, malgré eux !

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Au nombre de nos malheurs, il faut compter le fait que diverses parties prenantes au drame syrien ont décidé, dès le début, que la marche des événements et ce qu’on pouvait en attendre seraient déterminés de l’étranger, par l’étranger, au détriment de la lutte populaire civile et pacifique.

Tout le monde se souvient comment des éléments proches des Frères musulmans ont créé [sur Facebook] en février 2011 la page «La révolution syrienne contre Bachar Al-Assad», en demandant que celle-ci débute les 4 et 5 février, au jour anniversaire des massacres de Hama [en 1982]. On se souvient également comment les journaux ont décrit, le matin du 15 mars 2011, les manifestations et leurs victimes au jour mentionné par cette page.

Or il n’y avait pas encore eu de blessés et encore moins de morts à cette date-là, mais certains avaient déjà préparé leur discours, ou plutôt leur désinformation médiatique.

Tout le monde se souvient également des premiers mouvements à Daraa, qui avaient pris pour cible un officier des forces de sécurité, Atef Najib, symbole de la répression et de la corruption dans ce gouvernorat. On parlait alors de corruption, de réformes, de fin de l’état d’urgence [en place depuis 1963], on scandait des mots d’ordre pour la dignité et la liberté. Les frontières entre ce qui se passait à l’intérieur du pays et à l’étranger étaient clairement tracées avec un slogan tel que Ni Frères musulmans, ni salafistes, notre demande, un gouvernement civil !

La voix de la Syrie venait des épreuves et de la longue souffrance infligée par un système despotique, ses slogans étaient locaux, étrangers au monde virtuel: Pacifique, même s’ils en tuent cent chaque jour!

«Même si tu lèves la main pour me tuer, je ne porterai pas la main sur toi car je crains Dieu le créateur des mondes» !

«Nous avons réclamé des réformes et ils nous ont répondu par les armes»!

A Deraa, il n’y a ni bandes, ni armes ni complot! Le mouvement populaire en Tunisie et en Égypte avait créé un climat général favorable au changement pacifique. Il avait réveillé la résistance civile dans la confiance collective, dans toute la région. Mais dès le début, notre problème provenait des tentatives conçues depuis l’étranger et les médias visant à soumettre le mouvement populaire à des agendas qui ne respectaient pas le rythme du soulèvement populaire et les demandes venues de l’intérieur du pays.

Cette intervention a commencé à apparaître en toute clarté avec les noms qui furent donnés aux manifestations du vendredi. Des riches dans les pays du Golfe réclamaient des banderoles avec des slogans bien précis, puis des religieux de la Péninsule arabe ont pris le relai pour proclamer, d’une manière inconséquente, du genre Mille [soldats] de l’Otan plutôt que de Majus ou de Safavides [ndr: comprendre «hérétiques iraniens»].

La voix de l’étranger a supplanté celle de l’intérieur, aussi bien dans les médias satellitaires que sur Internet.

Ce n’est pas un hasard si les six personnes qui appelaient depuis Istanbul à la mise en place d’un Conseil syrien de transition le faisaient de l’étranger, alors qu’elles étaient porteuses de passeports européens ou américains et qu’il n’y avait pas avec elle un seul citoyen syrien de l’intérieur du pays.

Ce n’est pas un hasard non plus si la promotion du projet (de renversement du régime syrien) s’est faite depuis l’Occident et dans les pays du Golfe au détriment de la lutte interne menée sur le terrain par les forces vives de la société.

Dès la première réunion à Doha en juin 2011, nous avons essayé de faire en sorte que les bonnes intentions l’emportent et que la voix de l’intérieur puisse être entendue. J’ai ainsi demandé à l’un de ceux auxquels il a été promis un poste au sein du Conseil de revenir en Syrie pour empêcher que cette opposition soit en exil, ballottée entre les différents régimes, voisins ou non.

Tout cela a été vain: l’aide médiatique, politique et financier a submergé l’opposition de l’étranger pour qu’elle devienne le porte-parole du peuple et de la révolution. Je me souviens encore de ce que m’a dit alors Azmi Bishara, conseiller du prince de Qatar: «Si vous vous mettez d’accord sur une instance commune, un avion sera mis à votre disposition pour vous faire venir et procéder à votre reconnaissance internationale».

Une répétition du scénario libyen? Le premier accord inter-opposition, entre la Coordination nationale et le Conseil national, n’a tenu que peu d’heures.

Au lendemain de l’échec de cet accord, Michel Kilo, un ancien prisonnier politique syrien, me confiera lors d’un entretien au domicile de Samir Aïta, directeur de l’édition arabe du Monde diplomatique: «C’est l’oeuvre de services…», imputant l’échec au jeu des services de renseignements étrangers.

Et pourquoi certains désapprouvent aujourd’hui les propos d’un haut responsable américain qui a dit récemment que son pays était derrière la création était derrière la création de la Coalition nationale ?

L’assurance était répétée quotidiennement selon laquelle: «Deux semaines et tout sera fini.» Nous répondions que ce serait long.

Les accusations pleuvaient sur nous, nous accusant de toutes les trahisons possibles, alors que ce sont ceux qui ont preté l’oreille à l’étranger, qui ont  trahi tous les espoirs.

Le jour où nous avons lancé les slogans réclamant la chute du régime dictatorial accompagné des trois «non» (non au confessionnalisme, non à la violence et non à l’intervention militaire étrangère), le porte-parole des Frères musulmans a expliqué qu’il n’y avait pas de tabous.

Le 10 août 2011, deux jours seulement après l’assassinat de mon frère, Maen Aloudat, le site des Frères musulmans et des sites salafistes ont publié un article disant: «oui au combat armé sous la bannière du djihad, oui à la riposte contre le confessionnalisme du régime par la mobilisation des sunnites, et oui à l’intervention militaire étrangère parce que nous sommes entrés dans une période de trêve entre les forces occidentales et l’islam».

J’ai parlé avec un ami membre des Frères, venu présenter ses condoléances après la mort de mon frère et il m’a dit que cet article-là ne représentait pas le point de vue du mouvement. Mais les propos sur le Djihad se faisaient plus pressants de même que la nécessité de faire tomber le régime.

Et cela a commencé avec des associations caritatives qui ont réclamé des poches de sang en nombre complètement exagéré. Nous avons alors expliqué à quelqu’un qui était en contact avec eux qu’ils allaient perdre le soutien de la majorité de ceux qui soutenaient la lutte civile pacifique et qu’ils perdraient aussi leur pari militaire.

À nouveau les accusations se sont mises à pleuvoir. l’Internet et des chaînes satellitaires mises à contribution pour falsifier l’image de la lutte pacifique.

Je me souviens encore de leur réaction quand j’ai affirmé, juste à la fin de ramadan en 2011: «Si la lutte devient armée, elle va s’islamiser, se confessionnaliser, se radicaliser et elle perdra son élan.»

Un de ceux qui s’était tout à coup souvenu de la cause syrienne et qui avait rejoint, de l’étranger, la Coalition s’est levé pour me répondre: «Nous mobiliserons cent personnes pour te répondre si tu ne n’arrêtes pas de dire des choses pareilles».

Je lui ai répondu calmement: «Ne tuez pas la poule aux œufs d’or, comme dit le proverbe, utilisez au moins un peu de ce tout ce qu’on vous verse pour être utiles aux gens!»

Même mes amis les plus proches me mettaient en garde contre l’impossibilité d’aller à l’encontre d’un courant aussi puissant, bénéficiant du soutien de différents Etats, grands et moins grands, et de l’aide de médias criminels. Inutile de rappeler tout cela en détail, ce qui compte c’est de dire que cette position est celle de dizaines et même de centaines de milliers de personnes qui ont voulu un changement politique pacifique.

Comme le disait mon ami Abdelaziz al-Khayyer, pourtant emprisonné: «Il faut nous mordre les doigts, ravaler notre douleur et rester pacifiques, ne pas tomber dans le piège en transformant la révolution en guerre.»

A cause de la violence aveugle de tomber dans le piège en «transformant la révolution en guerre».

A cause de la violence aveugle de certains secteurs de l’opposition soutenant l’option armée, certains de ceux qui ont donné au monde entier le plus bel exemple d’une résistance populaire civile se sont mis en retrait, se contentant dans le meilleur des cas de tâches humanitaires.

Lorsqu’ils appartenaient à des minorités religieuses ou confessionnelles, ils ont été traités de soutien du régime.

Quand ils appartenaient aux franges éclairées de la majorité musulmane, ils ont été traités de lâches. Et s’ils s’avisaient de critiquer le déroulement des évènements, ils été accusés d’appartenir aux bandes du régime [shabiha].

Toutes les tentatives d’action civile et pacifique ont été marginalisées, privilégiant la propagation du mot d’ordre du combat armé. Et l’opposition de l’étranger s’est tue lorsque de malheureux soldats ont très rapidement été tués à Jisr al-Shughour [le 6 juin 2011].

Personne n’a cherché à savoir pourquoi les autorités turques avaient construit le premier camp à Alexandrette avant même l’arrivée des réfugiés.

Combien de fois j’ai supplié les habitants du Sud de rester dans leur maison et de refuser de se réfugier dans les pays voisins ! Certains de ceux qui les encourageaient à gagner dans des zones tranquilles et sans danger nous le reprochait.

Comment pourrions-nous oublier les facéties d’un de ces clowns qui affirmait alors qu’avec une dizaine de milliers de Syriens réfugiés dans un de ses pays membres, l’OTAN interviendrait conformément à l’article 8 de sa charte !

Bien sûr, aucune des deux grandes chaines transfrontières arabes pétro monarchiques, ni Al-Jazira, ni Al-Arabiyya ne se sont donnés la peine de s’interroger sur la réalité de l’existence de cet article. Un des hauts responsables de l’OTAN s’est esclaffé de rire quand je lui ai raconté cette histoire!

Aujourd’hui, les réfugiés sont abandonnés à leur triste sort. L’assistance humanitaire et alimlentaire pillée

Mettre en garde contre toute cette tragédie revient-il à se considérer comme un partisan du régime ?

Un militant qui a passé 14 ans en prison m’a apporté un jour un enregistrement d’Abu Omar al-Husseini al-Qurashi al-Baghdadi, me disant: «Voilà celui qui a confié à Abu Muhammad Al-Joulani la direction d’Al-Qaïda!».

J’ai écouté les 19 paragraphes où il parlait en long et en large de la nécessité de faire disparaître toutes les formes de polythéisme et de les priver de tout moyen, les chiites (râfida), en tant qu’associationnistes apostats (ridda), les laïcs sous toutes leurs formes d’hérésie patentée, le nationalisme, le communisme, le baathisme, les gens du livre et autres Sabéens qui sont désormais soumis aux lois de la guerre et pour lesquelles il n’y a plus de protection.

Ce militant appartenait à une famille chrétienne. Il a refusé de se taire à propos de Jabhat al-Nusra et de l’AIIL, lorsque des membres de la Coalition ont lancé en sa direction une opération de  charme. Etait-il pour autant un partisan du régime?

Et les avocats de Jabhat al-Nusra, défendaient-ils un projet démocratique sincère et authentique?

Et lorsque les infrastructures syriennes ont été détruites quelle a été la position de l’opposition d’Istanbul?

Quand un avocat de la ville de Harasta a été égorgé parce qu’il appartenait à une famille chiite, est-ce qu’un seul des membres de la Coalition s’y est opposé alors que cet avocat avait perdu une jambe dans la résistance palestinienne contre les Israéliens?

Quand on s’est mis à enlever des personnes sur la base de l’appartenance confessionnelle, quelle a été la position des «modérés»?

Quand des statues ont été démolies et dynamitées des mausolées des Compagnons du prophète, de même que des églises détruites, a-t-on entendu une seule condamnation ferme, en tout cas jusqu’au début de ce mois?

Quand des civils et des militaires ont été tués sur la base de leur identité confessionnelle, y-a-t-il eu ne serait-ce qu’une déclaration pour les innocenter?

N’est-il pas vrai que leur juriste préféré a considéré que le kidnapping «était une technique efficace et éprouvée» ? N’a-t-il pas déclaré licite, au nom de la révolution, le sang de tout citoyen russe?

Face à tout cela, il s’est trouvé des consciences au sein de la nation pour dire «non», pour refuser chaque demande d’une intervention de l’OTAN.

Tous ceux-là n’ont jamais été pour la dictature, ils se sont soulevés courageusement contre les appareils de sécurité et ils ont payé cher le prix de leur liberté et leur résistance.

En vertu de quel pouvoir, au nom de qui certains s’arrogent le droit de mettre d’étiqueter  telle ou telle catégorie, en «affilié au régime» ou qui «insuffisamment opposants».

Le policier qui fait la circulation, est-ce un soutien de la dictature? Le soldat qui se fait tuer à un barrage, son assassinat est-il licite?

Ces quartiers et ces villages bombardés sans discernement par tel ou tel groupe armé, constituent-ils des cibles légitimes? Doit-on être responsable des fautes des autres? Qui sont les entrepreneurs de la révolution de l’étranger pour se faire les censeurs de la morale et de la révolution?

Les combattants de Quraysh ont mutilé des cadavres alors que le prophète –que la paix soit sur lui – l’a interdit: Qu’est donc que leur islam? Pourquoi ceux qui dénoncent les crimes commis par des étrangers seraient-ils des agents du pouvoir ou même ses alliés? N’est-il pas temps de mettre un terme à cette farce? Les hommes politiques et les militaires qui gardent le silence devant de telles pratiques, ou qui y participent, ne savent-ils pas que le Syrie vivra par et pour ses habitants et qu’il leur faudra bien vivre avec leurs voisins et non avec les talibans, les Tchétchènes et tous les détraqués venus de tous les horizons porteurs d’un message de mort, d’où qu’ils viennent et quel que soit leur camp?

Malgré l’ampleur de la tragédie que vit la Syrie, il reste aussi une majorité qui a pour programme un changement démocratique et civil. Malgré les échecs, leur foi en l’avenir est plus grande que celle de l’opposition habituée aux grands hôtels. Ceux qu’on tient à l’écart, ils ont une voix, un point de vue, des droits, ceux qui ont perdu la vie comme ceux sont encore vivants. Ce sont eux qui de vue, des droits, ceux qui ont perdu la vie comme ceux sont encore vivants.

Ce sont eux qui construiront la Syrie de demain, eux qui défendent vraiment la dignité, la nécessité d’un État fondé sur la loi et souverain. Ceux qui leur décochent leurs flèches en les traitant de mécréants ou en les critiquant, ceux-là doivent savoir que la mémoire du peuple est plus fidèle encore que celle des historiens, et que ce ne seront pas simplement les criminels du régime dictatorial qui devront rendre des comptes mais également ceux qui ont volé, qui ont trafiqué, vendu et acheté, qui ont comploté avec les forces obscurantistes régionales et la toute puissance étrangère sur le dos de l’unité du pays.