ديسمبر 05, 2024

A propos de la citoyenneté dans la culture européenne

FrenchLille le 23/06/2007, l’institut Avicenne des sciences humaines. Colloque les musulmans en occident et la citoyenneté.

Les notions de citoyenneté ont pendant longtemps été conceptualisées comme des droits et des responsabilités liés à l’adhésion à une communauté politico juridique. Le caractère subjectif de ce concept s’apprécie par rapport à un état de civilisation donné, même si l’on affirme le caractère universel de certaines valeurs, inséparable de toute notion politique dans les temps modernes.

Dans la culture francophone, le mot citoyenneté est un concept surchargé d’idéalisation et de flou idéologique. Tandis que  les écrits anglo-saxons ont accepté le ralliement entre nationalité et citoyenneté. Autrement dit, ils ont limité les différences, si différence il y a, entre le droit et son exercice actif.

Dans la littérature américaine, le mot citizenship est employé à la place de la nationalité dans les écrits francophones qui établissent en général une distinction entre citoyenneté et nationalité, même si on peut dire avec Oppenheim et Lauterpacht, “Nationality of an individual is his quality of being subject of a certain state, and therefore its citizen”.(1)

Mais quelques soient les origines et les convergences nationalité- citoyenneté, les deux notions sont intimement reliées à nos identités comme citoyens et aux questions de justice sociétale. Le niveau auquel les institutions et les pratiques de citoyenneté sont inclusives ou exclusives des intérêts et des inquiétudes de la plupart des groupes vulnérables, sert de baromètre des valeurs de justice liées à des individus, groupes et communautés particuliers dans chaque civilisation.

Le citoyen de la Révolution française

A la Révolution, comme le signale Danièle Lochak, « Le mot se charge d’un sens radicalement nouveau : Le citoyen, ce n’est plus simplement l’habitant, c’est le membre de la nation –concept neuf, lui aussi, qui désigne l’entité collective formée par l’ensemble des citoyens et seul dépositaires de la souveraineté dans l’Etat. Le mot citoyen condense donc désormais en lui deux significations conceptuelles distinctes, mais indissociables : il désigne le national du pays et le titulaire des droits civiques en tant qu’ils sont une seule et même personne».(2)

A la différence de la Constitution américaine, la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ne construit pas une distinction claire entre les droits de l’Homme et les droits du citoyen. Est-ce l’expression, comme l’interprète Jacques Zylberberg, d’une volonté d’élargissement de la sphère du politique à l’ensemble des individus mâles et majeurs dans le territoire, ou plutôt l’expression d’un lien organique entre la citoyenneté et les principes généraux du droit naturel de l’humanité ? (3)

A l’assemblée constituante, l’idée dominante en 1789 fut que l’électorat n’était pas un droit, mais une fonction. A tout individu vivant en société, on reconnaissait un droit à l’individu s’imposant au législateur, le droit de citoyen. Mais ce droit n’était pas le droit  de voter, c’était le droit d’être reconnu comme partie composante de la nation. Le citoyen ne pouvait voter que si le législateur lui  avait conféré cette fonction. Mais en 1793, les idées de Rousseau triomphent et le droit électoral de tout citoyen est affirmé : Tout homme âgé de 21 ans est citoyen, tout citoyen est électeur. En plus, on a le sentiment que la république triomphante va chercher les citoyens au-delà de ses propres nationaux, parmi ceux qui ont bien mérité de la liberté, dans un état d’assurance de sa propre légitimité.

La défense des droits des femmes à la citoyenneté, dans cette décennie enflammée, n’est pas réservée aux pionnières. Bien que dans sa vie publique l’homme politique n’était pas à la hauteur du philosophe, Condorcet écrit sur le sujet : « Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espace humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ».(4)

En 1791, Olympe de Gouges publie sa « déclaration des droits de la femmes et de la citoyenne ». L’article 1 stipule que la femme naît libre et demeure égale de l’homme, et l’article 4 définie le but de toute association politique par la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme. Arrêtée le 20 Juillet 1793, alors qu’elle placardait elle-même ses affiches, elle est condamnée à mort et exécutée le 3 novembre 1793.(5)

Enfant légitime d’une révolution politique dans la pensée européenne engendrée par la révolution française, le concept de la citoyenneté n’a pas eu la même force avec sa restriction à l’époque coloniale. La conquête privilégie le colonisateur, qui cumule les statuts, au détriment du colonisé qui ne dispose, au mieux, que de l’amorce de celui de national, mais presque jamais à de celui de citoyen. Et comme le décrit si bien Claude Emeri, « Quand la colonisation entre dans sa phase de reflux, et après elle quand la France est sinon assiégée par ses anciennes « populations indigènes », au moins convaincue de l’être, le nationalisme frileux se rétrécit sur le champs de la citoyenneté qui le recouvre totalement ». (6)

La déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 redonna à la révolution française son droit de cité. La Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales a codifié, après les années noires de la 2ème guerre mondiale, les droits minima de la citoyenneté. Mais c’est le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui refuse, dans son article 25, toute discrimination dans les droits des citoyen(ne)s, en demandant :

  1. a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
  2. b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assumant l’expression libre de la volonté des électeurs; c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.

Ceci dit, la beauté des textes ne peut nous faire oublier la cruauté du réel. Deux siècles après la Révolution, un sondage IFOP, publié dans « le monde » du 30/11/1989 révèle que 66% des Français sont hostiles à octroyer le droit de vote aux Musulmans de France, aux seules élections locales !

Ce va et vient nous amène à constater que la citoyenneté est, quelques soient les valeurs idéologiques et polémiques du terme, un concept de ” clôture”, déterminant les limites à (ou l’exclusion de) la participation à certaines interactions sociétales. L’ambiguïté de ce mot réside dans le fait qu’il est, dans le vécu, l’expression à la fois, du germe du nationalisme constitutionnalisé et de la capacité d’un système politique à faire avancer les valeurs démocratiques d’intégration au détriment d’une entité fermée et homogène. Car la naturalisation est en soi une agression à l’égard des sentiments nationalistes basés sur une logique de différence (linguistique, religieuse, sexiste ou dépendant de la couleur de peau …), voire “un mariage mixte” dans une tribu endogamique.

Quelle soit inspirée de Jus sanguinis ou de Jus soli, la citoyenneté est une affaire purement nationale. Elle est dépendante du concept vague de la souveraineté de l’État. Le seul texte non-national sur la nationalité (la convention de La Haye du 12 avril 1930) ne fait que confirmer cela :

” – Qu’il appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux,

– que seule cette législation permet d’établir si un individu est ou non ressortissant de cet Etat”.

La variabilité interétatique nous frappe à la lecture des codes de nationalité à travers le monde : la nationalité obtenue de fait (narodowski dans la terminologie polonaise) ou de droit (obywatelstwo), attribuée ou acquise, réglée par le mariage, la filiation, la légitimation, l’adoption, l’établissement de la parenté, la loi de retour, l’unité de la famille ( juris communicatio), pour cause honorifique (honoris causa) ou une représentation légale …

L’on peut cependant constater avec amertume, que les conditions d’adhésion citoyenne sont de plus en plus difficiles, surtout avec la recomposition étatique post communiste en Europe de l’est et dans les Etats post Yougoslaves. Ainsi, la dénaturalisation de plus de 400 bosniaques musulmans, qui ont obtenu la nationalité par mariage pendant la guerre, par une commission multinationale ad hoc, est l’exemple d’une dégradation juridique qui peut envahir l’Europe. D’autant plus que l’interrogation sur les exigences de l’administration américaine, au nom de la guerre contre le terrorisme, n’est pas à la hauteur des dégâts occasionnés envers et contre la citoyenneté.

Il va sans dire que « le code de nationalité » est presque toujours influencé, pas seulement par des particularités socioculturelles, mais aussi par des facteurs passionnels alimentés par les idéologies et les mécanismes de peur de l’étranger. Même s’il est conditionné par une dynamique d’intérêt, pour emprunter l’expression de Max Weber.

Pour cela, le défenseur des droits humains ne peut qu’exiger que le concept de citoyenneté, quelques soient le pays et les origines socioculturelles,  demeure sous le microscope puissant des valeurs universelles des droits de l’Homme.

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1)    voir : art. citoyenneté, Haytham Manna, Short Universal Encyclopeadia of Human Rights, Beyrouth-Damas, ACHR- Al Ahali,Bisan, Eurab,2000,  Vol 1, P.483,

2)    Dominique Colas, Claude Emeri, Jacques Zylberberg, Citoyenneté et nationalité, perspectives en France et au Québec, PUF, 1991 : Danièle Lochak La citoyenneté : Un concept juridique flou.

3)    Ibid, La citoyenneté dans tous ses états, P.12.

4)    Cité par Diane Lamoureux, La citoyenneté : de l’exclusion à l’inclusion, in Citoyenneté et nationalité, op.cit

5)    Déclaration publié dans : La conquête mondiale des droits de l’Homme, Le Cherche Midi et l’UNESCO, 1998.

6)    Citoyenneté et nationalité, op.cit, P.4

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Médecin psychothérapeute et Docteur en anthropologie, Président du Bureau International des ONG humanitaires, porte parole de la Commission arabe des droits humains, Manna est l’auteur d’une trentaine de livres en arabe, anglais et français.