أبريل 17, 2024

Les bombardements ne doivent renforcer ni Bachar Al Assad ni l’État islamique

691182-des-equHaytham Manna décrypte la stratégie annoncée par les Occidentaux et leurs alliés du Golfe contre l’EI. Responsable pour la diaspora syrienne du Comité de coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD, opposition non armée), il publie une étude (madaniya.info) sur l’État islamique (EI), après d’autres travaux consacrés aux différents groupes islamistes et/ou takfiristes (1) de Syrie.

HD. Que vous inspire le projet des États-Unis de bombarder les positions de l’État islamique (DAESH, en arabe) en Syrie ?

Haytham Manna. D’abord, parlons de son efficacité. Regardez les résultats des bombardements menés depuis plusieurs années contre les djihadistes au Yémen : cela n’a pas changé grand-chose et ils provoquent en plus de très nombreuses victimes civiles. Sur le terrain, les États-Unis et leurs alliés du Golfe (Arabie saoudite, Qatar…) n’ont en réalité plus beaucoup d’amis. La force la plus importante au sein de l’opposition syrienne dite « modérée », c’est-à-dire l’armée islamique et le groupe Ahrar al-Sham, vient de subir un coup terrible (2). Ce dernier s’était imposé comme l’une des principales forces militaires en conquérant plusieurs régions de Syrie grâce à l’aide du Qatar et entretient de bonnes relations avec les États-Unis. Cela entraîne forcément beaucoup de jalousie.

HD. Barack Obama a également annoncé une aide financière conséquente à cette opposition dite « modérée ». Mérite-t-elle vraiment ce qualificatif ?

Haytham Manna. En Syrie, ce terme vise surtout à désigner ceux qui bénéficient du soutien politique, militaire et financier de l’Occident. Malheureusement, les vrais modérés sont marginalisés et ne sont pas capables de s’imposer militairement sans passer des alliances avec des groupes qu’ils qualifiaient autrefois d’alliés objectifs du régime, comme les combattants des comités de défense du peuple ou les forces kurdes, par exemple. Ensuite, le choix de l’Arabie saoudite pour entraîner ces forces en dit long sur leur pseudo-modération.

HD. La Russie semble craindre que les États-Unis ne profitent des bombardements contre l’EI pour élargir leurs cibles à des positions de l’armée syrienne…

Haytham Manna. En réalité, les États-Unis et leurs alliés britanniques ont effectué au moins à trois reprises des opérations clandestines sur le sol syrien, notamment pour essayer de libérer des otages, visiblement sans concertation, ni accord avec le régime. Selon moi, il est primordial que les actions entreprises ne renforcent ni l’EI ni le régime dictatorial de Bachar Al Assad. Attaquer le régime va réveiller des nationalistes syriens qui considèrent que c’est une intervention étrangère inacceptable, et il y aura forcément de nombreuses bavures qui endeuilleront les populations civiles.

HD. Les Turcs ont annoncé qu’ils ne participeront pas à l’effort contre l’EI, comment l’expliquer ?

Haytham Manna. Avant même la prise d’otages de 49 diplomates turcs à Mossoul, ce sont des officiers turcs qui ont négocié la libération des otages français détenus par DAESH. Il y a eu des échanges considérables entre les services de renseignements de la Turquie et les djihadistes : personne n’imagine, par exemple, que les camions transportant du pétrole extrait par l’EI en Syrie et en Irak puissent traverser la Turquie dans la clandestinité. Il n’est donc pas possible de classer ce pays comme hostile à l’EI depuis le début du conflit. Les Turcs les ont également soutenus dans leur combat contre les Kurdes du PYD (3). En réalité, ils sont les seuls à prétendre pouvoir peser sur les choix et les décisions de l’EI.

HD. François Hollande accuse Bachar Al Assad d’être le premier responsable de la montée en puissance de l’EI. Que faut-il en penser ?

Haytham Manna. Contrairement aux discours que l’on entend à Paris ou à New York, DAESH n’est pas la fabrication d’Ali Mamlouk (4). Pour défendre l’idée que ce groupe recevait de l’aide et de l’argent de la Syrie, voire de l’Iran, les organisations armées concurrentes et l’opposition en exil ont affirmé que DAESH était le seul à ne pas bénéficier des subsides du Qatar ou de l’Arabie saoudite. Or, la recherche d’une rapide indépendance financière, via l’impôt islamique, le racket, le pillage des banques ou l’exploitation du pétrole, relève d’une stratégie revendiquée du « calife » Al Baghdadi : multiplier les sources de revenus pour s’inscrire dans la durée.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARC DE MIRAMON POUR L’HUMANITÉ DIMANCHE